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  • FULVIO BELTRAMI

Nkurunziza Pierre: Un maître tacticien?


Première Partie

 

Auteur: FULVIO BELTRAMI-

Fulvio Beltrami est un journaliste indépendant et reporter sur l’Afrique de l'Est pour les journaux italiens L'Indro et ReteLuna. Il est basé à Kampala en Ouganda

 

Beaucoup de gens pensent que la crise qui frappe le petit pays au cœur de l'Afrique a commencé en avril 2015 lorsque des manifestations populaires de masse ont éclaté, après que le président Nkurunziza ait annoncée qu’il cherchait à briguer un troisième mandat. La Constitution n'en prévoyait que deux tandis que les accords de paix d'Arusha (Tanzanie) de 2000 consacraient un rapport de forces entre les deux groupes ethniques, les Hutus et les Tutsis.

Les accords de paix signés en 2000 grâce à la médiation des États-Unis, Nelson Mandela et la Communauté de Sant'Egidio, ont mis fin à une guerre ethnique qui avait commencé en octobre 1993 lorsque le président Hutu Melchior Ndadaye avait été tué par des officiers de une armée sous contrôle tutsi. M. Ndadaye avait été élu démocratiquement en juillet 1993.

Le meurtre sanglant de Ndadaye (tué à la baïonnette) a été considéré par les auteurs comme une action préventive. À l'époque, les Tutsis contrôlaient l'armée et la considérant comme la seule garantie contre les massacres ethniques perpétrés par les extrémistes hutus en collaboration avec le régime rwandais (Hutu Power) de Juvénal Habyarimana. Ndadaye, dirigeant du FRODEBU, avait été.

Au cours des cent premiers jours de son mandat et pendant sa campagne électorale, il avait promu une rhétorique dangereuse qui prônait le Hutu Power comme au Rwanda voisin. Le Rwanda de l’époque (de Habyarimana) combattait les rebelles du Front Patriotique Rwandais dirigé par Paul Kagame. Dans ce contexte, le président Ndadaye risquait fort de provoquer un nettoyage ethnique par son discours codé mais qui était facile à interpréter pour les extrémistes hutus qui s’inspiraient du discours du régime rwandais.

Au cours des 4 années et 8 mois qui ont suivi le coup d’état et assassinat du président Ndadaye, 3 présidents Hutus se sont succéder au pouvoir (François Ngeze 6 jours, Cyprien Ntaryamira 60 jours et Sylvestre Ntibantunganya 2 ans et 101 jours) alors que la guerre civile faisait rage. Pour stabiliser le pays, le major tutsi Pierre Buyoya (déjà auteur d'un coup d'État en 1987 contre le président tutsi Tutsi Jean-Baptiste Bagaza) a opéré un second coup d'État avec le consentement des puissances occidentales. C'était un coup sans effusion de sang. Le président Sylvestre Ntibantunganya, précédemment informé de ce coup par le même Boyoya, n'a pas organisé de résistance. Il s’est réfugié à l’ambassade des États-Unis.

ENTRÉE ET LA PRISE DU CONTROL DE LA RÉBELLION (FDD)

Piere Nkurunziza, ancien professeur d'éducation physique, a rejoint les milices des Forces de défense de la démocratie (FDD) du parti extrémiste hutu (CNDD). Ce parti ainsi que sa rébellion avaient été mis en place par Léonard Nyangoma, aidé (financièrement et logistiquement) par le pouvoir de Sylverstre Ntibantunganya. À l'époque, les FDD avaient environs 25 000 hommes sous le commandement de Jean-Bosco Ndayikengurikie engagés à combattre le gouvernement.

En moins d'un an, Nkurunziza a usurpé la commande des FDD, forçant Ndayikengurukiye à une scission qui s'est avérée presque fatale pour la rebellion. Ndayikengurukiye est resté avec seulement 5 000 hommes et a disparu de la scène politique burundaise. En 2002, avec l’aide de la communauté international Nkurunziza, sous le commandement de 20 000 miliciens, signa une trêve avec le gouvernement de Pierre Buyoya, signalant enfin la fin des hostilités avec le régime de Buyoya.

A la prise du contrôle du CNDD-FDD, Nkurunziza renforça l'idéologie du Hutupower (base théorique du génocide rwandais) au sein du parti armé. Pour imposer cette idéologie, Nkurunziza a isolé le groupe fondateur du parti dirigé par Leonard Nyangoma et composé principalement d'intellectuels hutus de Bururi, une région du sud du Burundi. Ils ont été remplacés par des extrémistes hutus de Ngozi et du Nord du pays, lieu de naissance de Nkurunziza.

Pendant 10 ans, il a mené une guérilla sans merci contre les forces régulières. Une résistance armée parsemée de massacres ethniques ordonnés par Nkurunziza. La haine de l'ancien professeur d'éducation physique à l'égard des Tutsis s'est exprimée par le massacre de civils sans défense dont des femmes, des personnes âgées et des enfants.

Nkurunziza est d’ethnie mixte (père hutu et mère tutsie). Très tôt, il a vu son père tué par des soldats tutsis. Il a vécu pendant plus de vingt ans dans un pays dirigé par la minorité tusti, et un pays confronté à un nettoyage mutuel ethnique et à des massacres mutuels. Il a été formé dans sa jeunesse, imprégné du «mal burundais». Il a grandi dans une société incapable d'abandonner le cycle des haines ethniques et de vengeance.

Le «mal burundais» trouve son origine dans le colonialisme belge lorsque le très délicat équilibre des pouvoirs entre Hutus et Tutsis, garant de la paix intérieure dans les royaumes précoloniaux du Rwanda et du Burundi, a été renversé. La population du Rwanda et du Burundi a toujours été composée d’une nette majorité de Hutus (85%), alors que les Tutsis représentent 14% de la population. Les Batwa (pygmées) 1%.

Le colonialisme belge, pour mieux régner, favorise les Tutsis. Après l'indépendance, ils ont choisi de favoriser les Hutus, ceux-ci (les tutsis) manifestant clairement des tendances nationalistes préjudiciables au maintien de la servitude économique de l'ancienne colonie belge.

SE METTRE A L’ABRI DE LA JUSTICE

Les nombreux crimes de guerre ordonnés par Nkurunziza lui ont valu d'être condamné à mort par le tribunal de Bujumbura lors d'un procès par contumace. Condamnation fondée sur des témoignages et des preuves irréfutables. Cette condamnation a été annulée par le même Nkurunziza lorsqu’il a assumé la fonction de président. Pour se sentir plus en sécurité, le dictateur a aussi aboli la peine de mort en avril 2009.

À l'époque, la communauté internationale s'est félicitée de cette décision, estimant qu'il s'agissait d'un pas en avant dans le renforcement des droits de l'homme au Burundi. En réalité, il s’agissait simplement d’une assurance nécessaire pour protéger Nkurunziza d’éventuelles poursuites judiciaires à son encontre.

En 2017, il a utilisé la même technique pour échapper à l'enquête judiciaire pour crimes contre l'humanité lancée devant la Cour pénale internationale. Pour éviter tout problème juridique, cette fois au niveau international, il a décrété la sortie du Burundi de la CPI. Cette tactique a été répétée l’année dernière: à la suite d’une enquête des Nations Unies sur des crimes contre l’humanité en cours, Nkurunziza a ordonné la fermeture des bureaux du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.

CONQUÉRIR LE POUVOIR SANS VICTOIRE MILITAIRE

Comment un meurtrier impitoyable aurait-il pu atteindre les plus hauts niveaux de l'État sans avoir remporté une victoire militaire? Nkurunziza a conquis la présidence grâce aux accords de paix d'Arusha de 2000. Ces accords devaient servir à mettre fin à la guerre civile qui durait plus de dix ans. Ces accords reposaient sur un système complexe de partage de pouvoir. Un partage qui allait devenir un médicament efficace contre le «mal burundais».

Lors de la nomination du président, il était nécessaire d'élire un Hutu. Les États-Unis, Nelson Mandela et la Communauté de Sant'Egidio ont choisi le moindre mal, Pierre Nkurunziza, au lieu de l’autre grande formation hutue rebelle, les Forces de libération nationale (FNL), qui interprétait l'idéologie Hutu Power d'une manière plus extrême que CNDD-FDD. L’erreur commise par la communauté internationale a été de choisir entre deux criminels de guerre, Nkurunziza qui dirigeait la CNDD-FDD et Cossan Kabura qui dirigeait le FNL. Personne n'a eu l'idée de se concentrer sur des politiciens hutu modérés, non infectés par la haine ethnique ataviste. Rétrospectivement, pour s'excuser, il a été dit que Nkurunziza était un « choix forcé ». S'il n'avait pas été nommé président, il aurait repris la guerre civile.

Une possibilité très probable mais qui aurait mis le chef du CNDD-FDD dans une position de hors-la-loi. Il aurait eu à combattre un gouvernement hutu, légitimé démocratiquement et une armée mixte (hutus et tutsis). La population était au bout de ses forces après dix ans de guerre et ne souhaitait que la paix. Les masses hutues n'auraient pas compris la poursuite des hostilités contre un gouvernement hutu élu par elles. Le CNDD-FDD aurait progressivement perdu le soutien populaire. Il serait donc devenu un groupe terroriste, une force négative. Il aurait lancé des attaques sporadiques depuis ses bases situées dans l'est du Congo et de la Tanzanie. Les défections entre ses rangs auraient commencé, créant la base d'une offensive résolue et décisive du gouvernement militaire. C'est le scénario le plus probable s'il n'était pas devenu président.

LE CHOIX DU MOINDRE MAL (NKURUNZIZA) S’EST AVERE UN DESASTRE POUR LA PAIX

Une fois au pouvoir, le 26 août 2005, Nkurunziza a pu exprimer toute sa nature violente et se laisser aller aux sentiments de vengeance découlant des troubles psychologiques déclenchés pendant sa jeunesse par des violences ethniques.

Alors que les États-Unis et l'Afrique du Sud se distanciaient du dictateur après les élections truquées de 2010 lorsque Nkurunziza s’est présenté pour son deuxième mandat, Sant Egidio (qui avait initié les négociations entre la rébellion et le gouvernement militaire de Bujumbura) commença à comprendre la véritable nature du chef de l'État burundais mais choisit de le soutenir pour un troisième mandat. Pourtant, les massacres politico-ethniques avaient continuée. En 2017, 300 000 Burundais avaient déjà fui dans les pays voisins pour éviter d'être massacrés par le régime de Nkurunziza, désormais devenu un régime d’extrémistes hutu qui épousent l’idéologie du HutuPower. Le nombre de réfugiés burundais est maintenant plus de 400 000.

Le soutien de Sant Egidio à cette fin amère reposait sur la conviction qu'il pouvait encore contenir les aspects les plus aberrants du dictateur et le convaincre de respecter les accords d'Arusha après deux mandats consécutifs. À la base de ce choix, il n'y avait pas de considération des dangers de l'idéologie du Hutu Power, mais l'espoir de pouvoir encore y remédier d'une certaine manière.

En choisissant de soutenir à nouveau le dictateur, ils auraient opté d’accepter les recommandations des missionnaires italiens appartenant à l'ordre xavérien de Kamenge, connus pour leur extrémisme politique et leur sympathie ouverte pour le Hutu Power. Maintenant, les Xavériens ont abandonné leur défense du régime grâce à l'intervention du pape François. Le Saint-Père a imposé un nouvel ordre à l'Église catholique de la région des Grands Lacs après la rencontre historique avec Paul Kagame du Rwanda. Le nouveau cours de l’église est basé sur la fin des rivalités ethniques et l'intégration socio-économique des peuples de la région.

Matteo Maria Zuppi, archevêque de Bologne

Les premiers doutes concernant le choix de Sant Egidio ont été exprimés par Matteo Maria Zuppi, actuel archevêque de Bologne. Le soutien de Sant’Egidio à Nkurunziza a officiellement pris fin en 2017 grâce à un débat sérieux au sein de la Communauté. Certains médias ont commencé à s'interroger sur les raisons qui ont conduit une association catholique respectable, réputée pour promouvoir la paix, à soutenir un dictateur africain sanguinaire. À cette époque, le leadership de la communauté Sant Egidio refusa d’être interviewé sur le sujet, mais réalisa que l’attention des médias commençait à augmenter. Continuer à soutenir le dictateur burundais aurait compromis la réputation de la Communauté.

Ce bref résumé de l'histoire récente du Burundi est nécessaire pour préciser que la crise burundaise n'est pas née en avril 2015, mais qu'elle remonte en octobre 1993 avec la mort de Ndadaye.

Malheureusement, même cette dernière affirmation est simpliste. La véritable origine du «Mal Burundais» date du 13 octobre 1961, jour de la mort du prince Louis Rwagasore. Pour expliquer l’histoire complexe du Burundi post colonial, il faudrait un véritable essai historique. Certes, cela ne peut pas être expliqué de manière exhaustive dans le cadre restreint d'un tel article si ce n'est par des simplifications historiques.

A VENIR: 2ème partie.......

(la deuxième partie sera publiée dans notre prochain numéro)

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