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  • Gerard BIRANTAMIJE

Laissez le CNARED s’envoler!


 

Gerard Birantamije détient un doctorat en Sciences politiques et sociales. Il est professeur d’université et chercheur. Il est aussi consultant sur les questions de sécurité

 

Une année après l’arrêt « brutal » du dialogue extérieur qui avait paradoxalement fait « accommoder » les voix des opposants au système CNDD-FDD et au Guide Eternel, d’aucuns auraient cru ne plus entendre le CNARED se faire parler avec tant de fracas.

Les plus en avance avec le temps, ont parlé de la fin d’un règne. Le règne de Minani III sur le trône d’une plateforme décidément engagé à rétablir l’Accord d’Arusha et l’Etat de Droit. Pour paraphraser la phrase célèbre des crieurs à la suite de la mort d’Henri III, l’un des mal-aimés au trône d’Angleterre, le CNARED est mort.

Vive le CNARED! Mon propos n’est pas ici de revenir sur cette saga CNARED qui aura galvanisé les esprits durant les quatre dernières années et susciter criantes, espoirs et désespoirs. Ce n’est pas non plus pour me projeter dans l’avenir de cette plateforme. Il s’agit de revenir sur le sens et la puissance de ce geste de retour dans les girons du pouvoir à la recherche du très bon « biberon » délaissé au lendemain de l’annonce du 3eme mandat.

Mon propos s’articule en trois points : le combat annoncé du CNARED, le droit de retourner au bercail qui lui revient ainsi que la symbolique politique que charrie ce geste des plus commentés.

i. Non, la lutte pour la restauration de l’Accord d’Arusha et pour un Etat de droit au Burundi n’est pas l’apanage du seul CNARED

C’est sûr le CNARED est fatigué. Quatre ans de lutte, d’incompréhensions, d’atermoiements et de chicaneries internes, ça finit par user, et l’organisation et les membres.

Et les signes avant-coureurs ont été là depuis bien longtemps. Le CNARED au départ se voulait être une plateforme citoyenne. Elle voulait rassembler toutes les forces vives du Burundi et de.s (la) diaspora.s qui avaient cru que le Burundi méritait mieux, que la loi doit être la règle suprême, que la politique doit être éthique (du moins au minimum).

Cette plateforme citoyenne a explosé pour se remodeler aux caprices des politiciens, les uns plus entreprenant que les autres. C’est vrai le CNARED s’était donné une mission qui n’a pas abouti et qui vraisemblablement ne pourrait jamais aboutir au regard des avenants internes que les constituants n’avaient pas pu régler avant leur engagement en tant que « tout ».

Ces avenants qui avaient des racines dans la gestion antérieure de l’Etat et des organisations politiques ont donné la vie dure à cette organisation. Chaque échéance électorale (en interne) comme s’ils étaient hantés par les fantômes du 3e mandat s’annonçait avec des crocs-en-jambe. Bien de gens pensaient qu’ils avaient renoncé à l’idéal de leur raison d’être comme CNARED dès les assises d’Addis-Abeba.

Bref, c’est comme s’ils s’empressaient de vendre la peau de l’ours sans l’avoir abattu. Au lieu d’être proactifs, ils ont été réactifs. L’accord d’Arusha a été enterré avec la Constitution de 2018 et certains disaient que c’en était la ligne rouge ; les crimes ont continué si bien que l’Organisation des Nations Unies dans ses différents rapports évoque des « crimes contre l’humanité » commis par des Burundais sur des Burundais. Les préoccupations du Cnared ont été beaucoup plus internes. Les flèches n’étaient jamais dirigées à la vraie cible.

Cependant, si le CNARED a failli, il a failli avec tous les Burundais engagés contre le 3e mandat. Pour deux raisons principales. La première relève d’un problème organisationnelle. La mutation opérée de manière prématurée de la plateforme citoyenne à la plateforme des politiciens (pour emprunter le langage vulgaire) a dévoilé le péché originel du CNARED. La sortie des organisations de la société civile engagée contre le troisième mandat (Mouvement Halte au troisième mandat) aura mis le dernier clou au « cercueil ».

Parce que d’un côté, cette rupture annonçait une dissonance cognitive sur la nature du CNARED : une coalition des partis politiques ? Un rassemblement des acteurs politiques engagés contre le 3e mandat ? Une association des politiciens exilés quand des politiciens établis au Burundi en faisaient partie? Il n’est pas aisé d’en faire une description.

D’un autre côté, la rupture aura donné les armes solides à ceux qui trouvaient dans le CNARED une plateforme en quête d’identité. Il s’agit notamment du régime en place et dans une moindre mesure de la communauté internationale. La deuxième raison relève de l’intentionnalité profonde des créateurs du CNARED.

Si cette plateforme citoyenne avait été créée comme un mécanisme inscrit dans la continuation des manifestations citoyennes contre la violation de la constitution de 2005, elle aurait brillé par le rassemblement de toutes les forces vives au Burundi comme à l’étranger. Or cela n’a pas été le cas. Et pourtant, la lutte pour la restauration de l’Accord d’Arusha et pour l’érection d’un Etat de droit, ce n’est pas l’apanage des seuls acteurs politiques du CNARED.

C’est d’ailleurs à ce niveau qu’il faut que les gens apprennent à se remettre en cause, ceux vivant au Burundi comme ceux ayant pris la route de l’exil à l’instar des acteurs du CNARED. Quelle mobilisation post-2015 a été faite pour soutenir leur Cnared? C’est comme si chacun a abdiqué et retourné dans son business laissant le navire Cnared battant pavillon burundais tanguait seul en plein océan d’autoritarisme, de dictature et de démocrature.

Si la lutte pour un Etat de droit avait été une grande préoccupation pour tout le monde, on n’aurait pas abandonné le CNARED (avec les critiques qui fusaient de partout) censé guider les pas ferme dans la recherche de cet Etat de droit. Il aurait fallu être proactif, engagé et sincère. Le CNARED, mis à part son nom, n’avait pas le monopole de rétablir l’Etat de droit.

Il pouvait constituer une lanterne, mais le drame reste que cette lanterne a été abandonnée au début du parcours, les uns et les autres préférant marcher dans l’obscurité. Il a été abandonné par ceux qui l’avaient créé. Et pourtant, ces acteurs ne tombaient pas du ciel. Ils étaient connus depuis des décennies, avant Arusha, pendant Arusha et après Arusha, chacun avec ses forces et faiblesses.

En 2010 il avait été créé l’Alliance des Démocrates pour le Changement (ADC-Ikibiri) qui a connu, mutatis mutandis, la même fortune. Sauf par magie, il est rare qu’avec la même recette, l’on recouvre des résultats différents. En revanche, il aurait fallu rester à bord. Il aurait fallu les coacher et pas les accuser. Il aurait fallu les encadrer pour éviter la revanche du passé sur le présent. S’ils rentrent sans le résultat escompté, c’est sûr que c’est une honte pour eux, et ils le ressentent, je n’ai aucun doute. Mais c’est juste une couleuvre amère qu’ils partagent avec tous ceux qui s’étaient opposés comme eux au fameux troisième mandat quoiqu’avec des atouts et forces tout à fait différents.

ii. Rien d’anormal, le CNARED a le droit de retourner au bercail

Tout burundais en exil ou établi à l’étranger, a le droit de rentrer si les conditions de sa sécurité et de sa quiétude s’y prêtent. Ce principe vaut aussi pour les acteurs du CNARED. A plus fortes raisons lorsque ces derniers disent aller faire la politique autrement, s’estimant mal en point pour infléchir la position du régime.

Sur le plan de la rationalité politique, c’est une position irréprochable. C’est au travers des élections que la classe politique se renouvelle, que les élites dirigeantes circulent, que les politiques publiques se renouvellent, y compris celle relative à la construction d’un Etat de droit. Le problème qui se pose est que leur participation auxdites élections ne va pas changer la donne.

Autant dire que pour comprendre cette démarche "cnaredienne", il faut puiser dans l’approche de la politique du ventre développée par Jean-François Bayart. Selon cette approche qui souligne entre autre que la participation à la vie politique se rapporte à la mangeoire dans tous ses sens, le CNARED ne peut que rentrer.

Le CNDD FDD, lui, ne lésine pas sur les mots pour les qualifiés. Son arène politique qu’il pourrait exploiter à sa satiété se trouve au Burundi. Ils ne peuvent qu’aller à la rencontre des électeurs s’ils veulent retrouver le paradis perdu. Mais le problème reste que ces gens pensent que les choses seront comme avant.

D’abord l’assiette est restée la même ou au mieux son volume a augmenté de manière arithmétique. Au même moment les appétits d’état ont augmenté de manière quasi géométrique. Peut-être que les échecs des opposants ont permis de scruter les espaces politiques vacants, de les meubler et d’en jouir les dividendes. Ceux qui scandent « caratuvunye ntituzokirekura », littéralement « ça (ce pays) nous a cassé, on ne lâchera point ») ont sans douté goûté aux délices du pouvoir, si bien qu’envisager de le lâcher serait un crime de lèse-majesté.

Le drame, ces appétits sont de plus en plus décentralisés, avec de plus en plus de nouveaux arrivants qui ne lésinent pas sur les moyens pour garder autant que faire se peut la mangeoire. En conséquence, l’espace politique est verrouillé, la constitution et le code électoral sont taillés sur mesure pour empêcher aux acteurs politiques non identifiés (les représentants des organisations politiques qui n’existent plus ou non reconnues, les coalitions d’infortune, coalitions de loosers, etc.) d’y occuper une quelconque parcelle.

Je ne parle pas de jeunes imbonerakure qui viennent de décrocher une journée nationale leur dédiée. S’ils s’acharnent sur des quidams, quid de ces hôtes de marque qui ont, quatre ans durant, déranger le Guide et ses acolytes?. Par ailleurs, comment rêver d’un nouveau paradis quand le modèle consociatif qui a fait d’eux des « big men » n’est plus ? Par quelle magie pourront-ils intégrer la cour des grands si l’Accord d’Arusha ne reste que dans les annales de l’histoire contemporaine du Burundi?

iii. Ce retour est tout de même une aubaine au régime pour redorer le blason terni

Ce retour tonitruant est hautement symbolique pour le régime et sert de pièce à conviction de plus pour la communauté internationale qui a déjà montré son penchant pour les échéances électorales de 2020. Plutôt la stabilité que la doxa normative des droits de l’homme.

La politique n’est pas antinomique à la cruauté, dit-on ! Malgré moult rapports, le régime a toujours montré que c’est le pays où tout va bien. Le CNARED, du haut de ses quatre ans d’existence, a tenté de montrer le contraire. Il a peint un tableau des plus sombres et n’a pas manqué de crier à qui veut l’entendre, que le pays se trouvait au bord du gouffre.

Le pouvoir l’a traité de tous les maux. Je ne voudrais pas y revenir. Ce qui est surréaliste, ce sont les conditions qu’il pose pour son retour. Le régime doit jubiler, trinquer à ce retour de l’enfant prodige. C’est un retour bat en brèche quatre positions importantes antérieurement prises par cette plateforme, pour dire finalement que :

- Le pays est en paix. Sinon il ne peut pas se mettre dans la gueule du loup ;

- Les violations des droits de l’homme rapportées et reprises dans les communiqués du CNARED ne relèvent que de la conspiration des « colonisateurs » comme le pouvoir aime bien l’insinuer ;

- Le Burundi est un Etat de droit et il était temps d’en finir avec l’accord d’Arusha qui contredit le principe du « winner takes all » dans le contexte burundais!

- Le changement de la constitution de 2005 est une ligne verte pour un bon départ à neuf

Ces quatre aspects liés à ce retour permettront au régime de restructurer son narratif. Et c’est à ce niveau que les acteurs du Cnared devraient mieux éclairer l’opinion : est-ce pour une retraite politique qu’ils rentrent ?

Certes en politiciens éclairés et calculateurs, leur place est là. Mais ce n’est pas pour lutter pour les idéaux qu’on retrouve dans ses sigles et dans sa devise. Dans tous les cas, laissez le Cnared s’envoler !

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