Le 3 septembre 1987, le major Pierre Buyoya, totalement inconnu sur la scène politique burundaise, profita de l’absence du président Jean- Baptiste Bagaza qui avait répondu à l’invitation particulière du président français, François Mitterrand, de participer au sommet de la Francophonie à Québec au Canada pour fomenter et réussir un coup d’Etat.
Bagaza et Buyoya se connaissaient bien, surtout que tous les deux étaient, comme leur prédécesseur, ressortissants de la commune de Rutovu, dans la province méridionale de Bururi, qui était la plus réputée de produire des présidents de la République à cette époque.
Le mouvement du 3 septembre bien salué par la population burundaise.
Le régime du colonel Jean-Baptiste Bagaza était devenu trop impopulaire à telle enseigne que même un paysan de la colline Kabuyenge de la commune Gisuru n’en voulait plus du tout.
Les raisons étaient là pour expliquer ce mécontentement. L’on citerait des mesures impopulaires prises à l’endroit de l’Eglise catholique, la décision de mettre un terme à la carrière militaire des caporaux et soldats après 6 ans de service, etc..
Tous les moyens étaient bons pour opérer un changement de régime. Buyoya anima ce mouvement clandestinement et n’attendait que l’absence au pays du président Jean – Baptiste Bagaza. Quand la musique militaire fut diffusée pendant longtemps (la nuit du 3 septembre 1987) sur les ondes de la seule radiotélévision nationale, tout le monde comprit qu’il doit y avoir un changement à la tête de l’Etat.
Les gens de la capitale et surtout le milieu ecclésiastique, tout comme l’occident, manifestèrent un enthousiasme à l’annonce de la «bonne nouvell». Un comité militaire pour le salut national, organe de prise de décisions politiques fut institué au sommet de l’Etat.
Tout le monde aspirait à un changement radical et les membres de comité militaire, aidés par les membres du comité exécutif du parti Uprona, entamèrent un périple dans toutes les provinces du pays pour expliquer les raisons du changement.
Mais le changement attendu n’intervint pas car, le major Pierre Buyoya n’initia aucun projet de développement durant tout son règne sinon que l’instauration au Burundi d’une journée de l’unité chantée du bout des lèvres. Les Hutu de l’époque, dont Melchior Ndadaye, qui fut le tombeur (par élections libres) de Buyoya, disaient qu’ils n’étaient pas prêts à nouer de l’amitié forcée avec les Tutsi (Ubumwe bw’ubwomekerano).
Le vrai visage du major Pierre Buyoya
Le major Pierre Buyoya a mis en place son premier gouvernement composé exclusivement dans sa majorité par les seuls Tutsi dont plus de 80% étaient originaires de sa province natale de Bururi. Cette manifestation d’un attachement aux Tutsi à travers son équipe gouvernementale sera aussi observable dans tous les services par des nominations qui laissaient transparaitre un certain clientélisme dans la gestion de la chose publique durant son régime.
Aussi, son pouvoir a été caractérisé par des crimes, à commencer par celui de Ntega et de Marangara où des milliers de Tutsi furent systématiquement massacrés par l’insurrection hutu animée par le Palipehutu de Rémy Gahutu.
Les criminels se replieront au Rwanda pour être accueillis comme des héros après la lettre ouverte des intellectuels hutu à Pierre Buyoya en 1988. Une année plus tard en 1989, les Hutu organisèrent ce cérémonies de levée de deuil collectif pour tous leurs disparus après l’intervention militaire; et Pierre Buyoya profita de cette occasion pour poser la première pierre d’un projet du gouvernement de construction des maisons pour accueillir les réfugiés hutu de Ntega et Marangara.
Des militaires qui ont essayé d’arrêter ce massacre contre les Tutsi dans les communes de Ntega de la province Kirundo et de Marangara dans celle de Ngozi, frontalières avec le Rwanda de Juvénal Havyarimana, furent tous traités d’ennemis de la paix.
Notons que le massacre des Tutsi dans les provinces du Nord du pays ait lieu quand le major-président n’était pas au pays. Il était en visite officielle au Congo-Brazzaville de Denis Sassou Ngwesso.
Des gens malintentionnés diront plus tard que Buyoya était de connivence avec le mouvement Palipehutu dans la préparation et l’exécution de ce crime odieux pour la seule raison qu’il n’était pas au pays au moment des faits.
Mais l’assassinat du père du mouvement Palipehutu, Rémy Gahutu, le 17 août 1990 dont le cadavre a été gardé un moment dans l’hôpital de Muhimbili à Dar-Es-Salaam, par un groupe de commando envoyé de Bujumbura, tire cette épine du pied de Buyoya.
Mais quoi qu’on dise, le major Buyoya laisse un portrait moral d’un homme froid comme une armoire à glace, plus égocentrique et régionaliste, doublé d’un sens plus criminel et ce ne seront pas les parentés de Rémy Gahutu, d’Edmond Ndakazi, de Firmin Sinzoyiheba, de Léonidas Maregarege et d’Anne Sindamuka qui diront le contraire.
Le 5 févier, une journée de l’unité ( qui n'a jamais existé)
Après le sommet de La Baule en France en 1990, le président français de l’époque, François Mitterrand, conditionne son aide aux pays africains à la mise en place des conditions favorables à l’avènement du multipartisme, bref, à l’ouverture démocratique.
Président Pierre Buyoya (avant-plan en béret noir) avec Adrien Sibomana (en costume noir) son premier ministre (hutu)
Pierre Buyoya comprit très rapidement que la France veut révolutionner les régimes en imposant la démocratie avec un principe électoral d’un homme, une voix. Pour rester dans les grâces de ce président-donneur de leçon, il faillait introduire au Burundi le système multipartite.
Comme Buyoya se croyait plus rusé, des colloques furent organisés et animés par des intellectuels hutu distillés dans les rangs du Palipehutu aux côtés des Tutsi identifiés au sein du parti Uprona et créa une commission nationale pour faire asseoir « l’unité nationale » dans notre pays.
Les leaders hutu comme Nicolas Mayugi, Mélchior Ndadaye furent associés à cette commission. Mais les membres du parti Sahwanya – Frodebu se montreront plus intraitables à cette question de l’unité forcée du Major Buyoya et claqueront la porte à cette dite commission.
A la fin des travaux de cette commission, Buyoya institua au niveau national, une journée chômée et payée dédiée à l’unité retrouvée. Un monument fut construit à cette fin sur le mont Vugizo comme souvenir d’une paix retrouvée le 5 février 1991 au terme d’un referendum après tant de cycles de violences ethniques.
Tous ses successeurs trouveront des textes de l’unité sur lesquels ils vont se référer dans leurs discours démagogiques d’endormissement du peuple pour se pérenniser au pouvoir et continueront à forcer le peuple burundais tous les 5 févier de chaque année à se rassembler sur le mont Vugizo afin de chanter des bouts des lèvres et en balançant les bras, l’unité retrouvée après tant d’années de crise cyclique entre les composantes de la société burundaise.
La débâcle du président Buyoya
En 1992, le major Pierre Buyoya agrée les partis politiques et autorise leur fonctionnement. Le Front pour la Démocratie au Burundi (Frodebu) sort de la clandestinité où il opérait depuis 1986.
Une année plus tard en 1993, Pierre Buyoya prévoyait des élections pluralistes dans son pays. Pour lui, les balises de l’unité nationale suffisaient pour rallier tous les Hutu à sa cause. Ainsi, le 25 avril 1993, Buyoya invita tous les organes du parti Uprona dans l’hémicycle de Kigobe pour annoncer sa démission au sein des forces armées burundaises et déclarer dès ce jour qu’il se porte candidat aux élections présidentielles en cours en tant que candidat du parti UPRONA.
La campagne bat son plein et les Upronistes les plus réalistes comprirent que le parti Frodebu de feu Melchior Ndadaye allait remporter les élections. Car, l’affluence de la masse paysanne à la rencontre des leaders de ce parti était le baromètre qui ne trompait pas.
Mais Pierre Buyoya et quelques irréductibles Upronistes continueront à croire aux résultats chimériques. Et voilà l’erreur commise par les leaders de l’Uprona de l’époque de ne pas préparer psychologiquement leurs membres à accueillir et gérer leur comportement en cas d’éventuel échec électoral.
L’annonce des résultats toucha profondément les Upronistes et leurs leaders car, le Frodebu venait de remporter haut la main les élections de 1993 avec un score de 65% contre 32% de l’Uprona. Tous les Tutsi mirent cet échec au dos de Pierre Buyoya qui ne pardonnera jamais les leaders du Frodebu pour lui avoir administré une telle gifle.
Cette rancune valut aux leaders du Frodebu une série de coups d’Etat dont celui qui coûta la vie au président Melchior Ndadaye et à ses proches collaborateurs, 3 mois après son investiture, le 21 octobre 1993.
Mais jusque-là, personne ne peut affirmer avec certitude que ce coup de force avait été orchestré par le major Pierre Buyoya. Seul le mécontentement au sein des forces armées pouvait le justifier car, Ndadaye s’était entouré de militaires et gendarmes de Muramvya en les préférant à ceux de Bururi.
Le retour du major Buyoya le 25 juin 1996 après la chasse sans manière du président Ntibantunganya à la tête du pays faisait dévoiler à la face du monde un iceberg qui se cache en lui. L’engouement du pouvoir lui animait et la nostalgie de revenir aux affaires fut mal maitrisée, 3 ans après sa débâcle électorale.
Comme ceci explique cela, il revient à quiconque de tirer une leçon qui s’impose pour tous les événements qui ont émaillé le régime de Buyoya et tous ceux qui se commettent du jour au lendemain dans notre pays.
L’opinion tutsi dira plus tard que Buyoya est l’auteur des malheurs qu’ils endurent dans les différents camps de déplacés de l’intérieur comme de l’extérieur du pays car ils l’accusent d’avoir offert sur le plateau d’or la victoire au mouvement Cndd – Fdd alors que sur terrain, cette rébellion n’avait conquis aucun mm2 de notre pays. Les effets induits de sa gouvernance la plus médiocre de l’histoire institutionnelle du Burundi poursuivent le peuple comme une ombre la plus hallucinante d’un éternel revenant.
Le président Buyoya indésirable dans son propre pays
Bien que Pierre Buyoya ait mis en place un gouvernement d’union nationale où depuis l’histoire de la république, les Hutu firent leur apparition en grand nombre dans l’exécutif burundais depuis 1988, ces derniers n’en furent pas du tout reconnaissants.
En 1998, il entama officiellement des négociations avec les partis hutu sans l’aval du principal parti tutsi, l’Uprona, dirigé à l’époque par l’honorable Charles Mukasi. Ces négociations intervenaient au moment où le principal mouvement armé, le Cndd-Fdd, était en débandade. Il poussa un ouf de soulagement à l’annonce de la cessation des hostilités par Bujumbura.
Mais l’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD depuis 2005 comme parti politique, leurs dirigeants ne furent pas satisfaits de l’œuvre accomplie par Pierre Buyoya. Au lieu d’être leur matière grise qui manœuvre dans les coulisses de ce parti au pouvoir, Buyoya fut frappé par un carton rouge dans le jeu lui opposé par le Cndd – Fdd.
En 2015, peu avant l’annonce du troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, Pierre Buyoya a bénéficié de l’unique soutien du Cndd –Fdd pour poser sa candidature à la tête de la Francophonie. En contrepartie, l’opinion dira plus tard qu’il lui avait promis de convaincre les Tutsi de l’Uprona à le soutenir pour briguer un troisième mandat pour se succéder à lui-même.
Mais personne ne pouvait pas maitriser les événements car le mouvement de la rue était tellement opiniâtre et échappait au contrôle de quiconque. Buyoya fut indexé aux manifestants alors qu’il n’était pas au pays.
Dans ses discours, le Cndd –Fdd ne cache pas sa haine qu’il entretient à l’endroit du président Buyoya. On l’accuse d’être de mèche avec les pays européens qui ont pris des sanctions contre le Burundi tant que la paix, la sécurité et le respect des droits humains ne seront pas garantis dans notre pays.
Dès lors, le président Pierre Buyoya ne peut plus mettre le pied dans son pays. Il est tellement indésirable qu’il n’est plus capable d’assister aux funérailles d’une de ses proches parentés.
Pour montrer leur fureur envers lui, certains de ses militaires les plus gradés qui lui étaient proches ont été la cible des groupes commando et ont été liquidés un à un. Les autres ont été arrêtés et incarcérés, accusés d’avoir participés de près ou de loin à un coup d’Etat qui a coûté la vie au président Melchior Ndadaye et ses proches collaborateurs.
Buyoya est également sous mandat d’arrêt émis par Gitega.