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Les instincts dictatoriaux de Magufuli profitent au régime dictatorial de Nkurunziza


Président tanzanien John Magufuli ( en lunettes) et président burundais Pierre Nkurunziza

 

La Tanzanie a massivement bénéficié de la succession politique régulière de ses dirigeants. Cependant, Magufuli semble de plus en plus se terrer dans ses instincts dictatoriaux. Serait-ce donc pour cette raison qu'il s'est rangé du côté d'un régime qui brutalement tue ses citoyens, un régime qui est diplomatiquement isolé et qui devient de plus en plus infréquentable?

 

Un événement à la fois impensable, dramatique et effrayant s’est produit en Tanzanie: la disparition forcée d’un journaliste.

Le journaliste et contributeur de African Arguments, Erick Kabendera, a été disparu par les forces de sécurité Tanzaniennes. En effet, il a été arrêté par la police et maintenu au secret pendant plusieurs jours jusqu'à ce qu'il réapparaisse subitement devant un tribunal et qu'il ait été inculpé de crimes économiques et évasion fiscale.

Ceci n'est pas un incident isolé: depuis 2015, il est bien connu de tous que des journalistes indépendants soient victimes de harcèlement, voire de mort, et que le gouvernement empêche les informations ou même la publication de statistiques nationales si celles-ci révèlent des données qu'il n'aime pas.

Cela inquiète beaucoup de Tanzaniens et de nombreux amis tanzaniens à l’étranger. Il vaut la peine de demander d'où vient cette nouvelle tendance. Depuis l’indépendance en 1961, la Tanzanie est un pays phare de la lutte de libération en Afrique et de la stabilité politique pacifique.

Le premier président du pays, Mwalimu Julius Nyerere, a fermement déterminé et fixé le moral de son pays sur les plans social et politique. Tous les successeurs de Nyerere se sont engagés à préserver son héritage.

L’héritage de Nyerere

Nyerere est relativement une figure hors du commun chez les présidents africains. Contrairement à la plupart des présidents africains qui n'ont pas un corpus d'ouvrage écrit discernable, Nyerere a laissé derrière lui un nombre important d'écrits qui exposent sa pensée politique et nous permettent de voir l'évolution de sa pensée.

Même s'il était parfois intolérant à l'égard des critiques, il avait tendance à répondre par des arguments plutôt que par la force. La pensée de Nyerere a changé au fil du temps, ses idées s’adaptant à la lumière de l’expérience, mais certains éléments sont restés inchangés: un ton moral puissant; une intolérance de la corruption; un rôle central pour l'État, mais avec une réelle redevabilité vis-à-vis de la population; et, surtout, la valeur de l'unité au niveau national, dans l'union avec Zanzibar et dans toute l'Afrique.

Nyerere a commencé comme un irréparable socialiste africain. Selon sa pensée, l'Afrique avait été envahie par le capitalisme et le colonialisme qui ont débarqué sur les rives de l'Afrique comme de jumeaux horribles et ont détruit de nombreuses valeurs communautaires traditionnelles. Celles-ci devaient être rétablies et Nyerere justifiait le role d'un parti unique (ou parti état) en Tanzanie comme étant nécessaire pour reconstruire l’unité nationale et éviter les divisions politiques. Il a également plaidé pour la villagisation comme voie de modernisation économique et sociale.

Au fil du temps, le président a toutefois constaté les inconvénients de ces deux politiques. Bien que le parti au pouvoir, le Chama Cha Mapinduzi (CCM), disposait et faisait preuve d’une concurrence loyale et d’une responsabilité internes solides, tout parti qui reste au pouvoir pour longtemps a constamment tendance à devenir complaisant et corrompu. La cible des cadres du parti a tendance à devenir l'ascension au sommet du parti et à en récolter les avantages en cours de route plutôt que de servir la population.

Pendant ce temps, la villagisation et la production étatique se sont révélées socialement perturbatrices et financièrement désastreuses. Économiquement, la prescription de Nyerere a été un échec presque total.

En réponse, Nyerere a fait deux choses. Tout d'abord, il a mis en place des accords de succession au sein du parti lui permettant ainsi de se retirer du train-train quotidien du gouvernement. Bien qu'il ait gardé le contrôle en tant que président du CCM, il a quitté ses fonctions de président en 1985 et a permis à ses successeurs de libéraliser à la fois la politique et l'économie.

Dans les années 90, la politique multipartite a été réintroduite, un certain nombre d’organisations paraétatiques déficitaires qui drainaient les ressources de l’État ont été privatisées et le pays a commencé à encourager les investisseurs extérieurs. Les interventions personnelles de Nyerere sont devenues de plus en plus rares, se limitant en grande partie à défendre le caractère sacré et l'importance de l’union politique avec le Zanzibar et à œuvrer pour la paix au Burundi.

L’héritage de Nyerere consiste à valoriser l’unité mais à reconnaître la diversité, à ne pas rester a la tête de l’État au delà de son utilité et à s’appuyer sur des principes, mais à adapter sa politique à la lumière de l’expérience.

Sur les traces de l’héritage de Nyerere ou vers une dictature?

Comme ses prédécesseurs, le Président Magufuli insiste sur le respect de l’héritage de Nyerere. Sélectionné au poste de président au moins en partie pour sa probité personnelle bien connue, Magufuli est entré au poste de président en fulminant contre la corruption dans la machine étatique. Ses interventions dramatiques ont semblé secouer les services publics de leur torpeur et de leurs pratiques corrompues. Il développa et livra des infrastructures de base, notamment des routes et de l'énergie.

Mais à d’autres égards, l’administration de Magufuli semble coincée dans des instincts de suspicion, voire hostiles. Son approche à l’égard du capitalisme international et des marchés ouverts, même au sein de sa région épouse plutôt la pensée socialiste des premiers jours de Nyerere. Magufuli et son entourage ont commencé à prêcher une vision étroite de l'autosuffisance similaire à celle qui avait conduit le pays à la faillite au début des années 1980.

Sur le plan politique, Magufuli semble avoir adopté une intolérance à la critique et à l’opposition que Nyerere avait abandonnées au cours de ses dernières années. Le CCM semble de plus en plus effrayé par la démocratie, craignant que, s’il adopte une politique de libre choix et libre pensée dans le pays, le peuple finisse par choisir un autre parti pour diriger le pays.

Limiter l'opposition et harceler la presse indépendante finira par détruire la démocratie et même le CCM lui-même. L’exemple d'autres pays ou des dirigeants politiques décident qu'ils devraient être les seuls arbitres des décisions et qui restent au pouvoir longtemps leurs années productives et qui finissent par conduire leurs pays à la ruine n'augure rien de bon pour la Tanzanie. Dans presque tous les cas, cela ne se termine pas bien. La même chose peut s’appliquer aux partis comme aux chefs individuels.

La Tanzanie est un pays au potentiel énorme. Il est riche en terres cultivables , en ressources naturelles matérielles et humaines. Pour en tirer le meilleur parti au profit de ses citoyens, il doit également être riche en sagesse et en morale. Comme partout, ces ressources sont mieux développées par une coopération fructueuse, harmonieuse et respectueuse entre initiés et étrangers. La concurrence est bonne, mais le mieux est de le faire en collaboration.

Le soutien d'un régime brutal et dictatorial au Burundi voisin

La Tanzanie a massivement bénéficié de la succession politique régulière de ses dirigeants. Cependant, Magufuli semble de plus en plus se terrer dans ses instincts dictatoriaux. Serait-ce donc pour cette raison qu'il s'est rangé du côté d'un régime qui brutalement tue ses citoyens, un régime qui est diplomatiquement isolé et qui devient de plus en plus infréquentable?

Les pourparlers de paix pour la crise déclenchée en 2015 au Burundi, sous la supervision de l'EAC et la médiation de l'ancien président tanzanien Benjamin Mkapa ont échoué dans une large mesure en raison du manque de volonté politique du président Magufuli.

On dit souvent et sans exagération que la Tanzanie est la clé pour résoudre la crise au Burundi. L'implication de Nyerere dans le passé a aboutit à une résolution plus ou moins équitable du conflit politico-ethnique au Burundi, les fameux accords d'Arusha. Bien que Nyerere avait beaucoup aidé la rébellion contre le régime militaire de Bujumbura, celui-ci avait bien compris le rôle central de la Tanzanie dans la région pour ne pas s'opposer à son implication dans la médiation. Ainsi, bien qu'elle hébergeait les dissidents de Bujumbura, la Tanzanie a en même temps accueilli et dirigé les négociations entre ces parties en conflit.

Magufuli a montré peu d’intérêt pour faire avancer ou trouver une solution à la crise qui sévit au Burundi. Bien que préserver l'héritage de Nyerere, qui avait fait plus que quiconque pour résoudre la longue guerre civile qui sévissait au Burundi dans les années 1990, ne soit peut-être pas la priorité de Magufuli, il est dans l'intérêt stratégique à long terme pour la Tanzanie de trouver une solution à la crise burundaise.

Magufuli semble avoir mal compris le conflit burundais. Il a jeté tout son poids politique derrière le CNDD-FDD, le parti au pouvoir au Burundi. En fait, il semble avoir béni la transformation de ce mouvement, autrefois rebelle, en un parti Etat qui gouverne brutalement le petit voisin.

Cette proximité entre le CCM et le CNDD-FDD pourrait être enracinée dans le long soutien que la Tanzanie a apporté au mouvement rebelle lorsqu'il menait un long combat contre le régime militaire du Burundi à l'époque. Ce soutien n’est pas inhabituel pour la Tanzanie, un pays qui a aidé la plupart des pays d’Afrique australe qui combattaient la domination blanche dont l’apartheid.

Mais ce qui est surprenant, c’est l’incapacité de Magufuli de comprendre que la situation conflictuelle actuelle au Burundi n’est pas basée sur un combat de libération, mais plutôt un leadership brutal aux inclinaisons dictatoriales extrêmes.

Il ne semble non plus comprendre que délaisser le Burundi dans la spirale de violence serait une trahison de l’héritage laissé par Nyerere. Ses instincts dictatoriaux, combinés à la lutte politique dans laquelle il est engagé en Tanzanie, ont aveuglé Magufuli en un soutien actif pour Nkurunziza dans sa quête pour conserver le pouvoir.

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