Le président burundais Pierre Nkurunziza a annoncé le 7 juin 2018 qu'il ne serait pas candidat à sa succession en 2020. Il avait pourtant organisé le 17 mai un référendum contesté sur une révision de la Constitution lui permettant de rester en poste jusqu'en 2034. D’où l’étonnement de nombre d’observateurs.
«Notre mandat s'achève en 2020», a déclaré le chef de l'Etat, ancien chef rebelle de 54 ans, dans un discours prononcé dans la localité de Bugendana (centre du pays), en mélangeant le «je» et le «nous». Lors de sa réélection controversée en juillet 2015, il avait promis que ce serait son dernier mandat. «En tant que guide du CNDD-FDD (parti au pouvoir), je voudrais annoncer que je ne reviendrai pas sur ma parole», a-t-il affirmé dans son allocution. «La nouvelle Constitution n'a pas été taillée sur mesure pour Pierre Nkurunziza comme le disent nos ennemis», a affirmé le président burundais parlant de lui à la troisième personne. «En ce qui me concerne, je me prépare à soutenir de toutes mes forces (...) le nouveau président que nous allons élire en 2020», a-t-il assuré. «Implacable» et «impitoyable»
Des propos en totale contradiction avec son comportement passé. Jusque-là, l’homme a toujours montré «une résolution implacable pour se maintenir au pouvoir à tout prix», rappelle Le Monde. Une résolution qui vient de loin. Pendant la guerre civile burundaise, qui a fait 300.000 morts entre 1993 et 2006, Pierre Nkurunziza a survécu pendant quatre mois, gravement blessé, dans des marécages. C'est là qu'il a eu, selon ses dires, la révélation divine qu'il dirigerait un jour le Burundi. Depuis, ce Hutu (l'ethnie majoritaire) au crâne rasé, grand sportif et chrétien évangélique «born again» prosélyte, a fait de son rapport à la religion l'un des piliers de son pouvoir. Le CNDD-FDD, l'a ainsi récemment élevé au rang d'«Imboneza yamaho» («Visionnaire» en français).
Le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, s'apprêtant à voter pour le référendum constitutionnel le 17 mai 2018 à Mwumba (nord du Burundi). (REUTERS/Evrard Ngendakumana)
Le président burundais est par ailleurs volontiers décrit par ceux qui le connaissent comme «impitoyable». Sa candidature en avril 2015 à un troisième mandat et sa réélection en juillet de la même année avait déclenché une crise qui a fait au moins 1200 morts et plus de 400.000 réfugiés. Réprimant brutalement toute contestation, il est accusé d'avoir instauré un régime de terreur. Un comportement qui a isolé son pays sur la scène internationale. Bientôt roi ?
Dans ce contexte, un tel homme est-il vraiment prêt à quitter le pouvoir? «La promesse de partir en 2020 est une vaste blague pour endormir l'opinion», répond Pancrace Cimpaye, le porte-parole de la principale coalition d'opposition, la Cnared. D’autres interprétations circulent. «Depuis des mois, les Burundais ont remarqué que le président passait de plus en plus de temps dans des lieux liés à l’ancienne monarchie», fait ainsi remarquer Le Monde. Qui précise: «L’une des clauses les moins remarquées de la nouvelle Constitution – et jusqu’ici la plus inexplicable – établit justement la possibilité de rétablir la monarchie au Burundi.» Alors, Pierre Nkurunziza veut-il devenir roi comme, en son temps, Jean-Bedel Bokassa s’était proclamé empereur en Centrafrique? Pour l’instant, cela n’est qu’une supputation. Mais au-delà, l'annonce qu’il a faite le 7 juin, est «un joli coup politique», estime un diplomate en poste au Burundi, qui a tenu à conserver son anonymat. «Reste à savoir à quel point il est sincère car c'est lui qui a lancé toute cette histoire de révision de la Constitution en expliquant qu'il était prêt à se représenter si la population le lui demandait. Après trois ans de blocage autour du troisième mandat et de sanctions, la situation socio-économique du pays est grave. Nkurunziza avait besoin d'offrir quelque chose à la communauté internationale pour tenter de ramener les financements», a ajouté le diplomate. Aide internationale suspendue
De fait, en mars 2016, l’UE, principal bailleur de fonds, a suspendu son aide financière au Burundi. Une aide qui représentait 20% du budget du pays. D’une manière générale, jusqu’en 2015, les financements étrangers représentaient plus de 50% du budget national. Ces suppressions de crédits ont aggravé la situation d’une économie qui est l’une des plus pauvres du monde (PIB: 315 US$ en 2015).
Dans le même temps, Pierre Nkurunziza serait confronté à des dissensions internes dans son propre parti: certains chefs militaires de l’ex-rébellion n’apprécieraient pas sa volonté de se représenter. Alors, que retenir de l’annonce de son départ? «Il est trop tôt pour se prononcer sur les suites de cette annonce puisqu'on n'en connaît pas exactement les motivations et les contraintes qui ont débouché sur ce résultat. La question dépend de l'appareil du CNDD-FDD, qui est avant tout soucieux de sa propre reproduction collective et surtout de sa capacité à maintenir son emprise sur les populations et les ressources», analyse, pour RFI, le chercheur André Guichaoua, professeur à l’université Paris I.