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Burundi au-delà de 2020: vers la fin du partage du pouvoir entre hutus et tutsi?

Dernière mise à jour : 16 mars 2020

Par Gédéon Manirakiza

Evariste Ndayishimiye ( candidat du CNDD-FDD aux présidentielles de mai 2020) avec son épouse

Alors que les burundais se dirigent vers les élections au mois de mai, la crise qui a commencé en 2015 n'a pas encore trouvé de solution. La médiation menée par la Communauté de l'Afrique de l'Est a échoué en raison de la réticence du gouvernement burundais à dialoguer avec ses opposants.


Deux constitutions: une situation anormale créée pour abolir les Accords d'Arusha


Depuis 2018, le Burundi vit une situation que très peu de pays ont connue. Le pays a deux constitutions. Les institutions étatiques actuelles émanent et sont régies par la constitution de 2005, celle qui emane des accords d'Arusha.


En même temps, une autre constitution a été approuvée par voix référendaire et promulguée en 2018 par le président sortant. En son article 292, la nouvelle constitution stipule que: "la présente constitution adoptée par référendum du 17 mai 2018 entre en vigueur le jour de sa promulgation".


La constitution de 2018 entre en vigueur le jour de sa promulgation. Elle a été promulguée le 7 Juin 2018. Depuis le 7 Juin, il y a deux constitutions au Burundi

Au niveau légal donc, le Burundi vit dans un régime à deux constitutions. " Si le pays avait un système juridique indépendant, la légalité des institutions actuelles pourrait facilement être attaquée et contestée" révèle un politologue burundais.


Les élections de mai 2020 se tiendront donc dans un environnement politico-juridique très particulier. La constitution de 2018 abolit en effet le partage du pouvoir entre hutus et tutsis. Un partage du pouvoir qui a été négocié et convenu à Arusha sous la médiation de l'un des meilleurs fils d'Afrique, Nelson Mandela. Ce partage de pouvoir avait établi un équilibre qui avait apaisé les anciennes tensions interethniques.



Un équilibre basé sur un partage ethnique du pouvoir


L'accord d'Arusha et la Constitution de 2005 «pérennisaient des quotas ethniques» dans les institutions afin de «désamorcer la question» hutu/tutsi, rappelle Christian Thibon, enseignant à l'Université française de Pau et spécialiste du pays. L'équilibre reposait donc sur un partage ethnique du pouvoir. «L'enjeu de la crise déclenchée en 2015 est de maintenir ou non cet arrangement institutionnel», explique Thierry Vircoulon, un autre spécialiste sur le Burundi.


La frange dure du parti présidentiel, le CNDD-FDD, issu de l'ancienne rébellion hutue, a réussi à remettre en cause cet arrangement institutionnel, et a en effet mis en place un autre arrangement qui permet aux hutus de monopoliser le pouvoir tout en maintenant un semblant de partage du pouvoir par le biais d'un seul post de vice président sans pouvoir réels.


Les pouvoirs exécutifs seront concentrés dans les seuls main du président et de son premier ministre. Le seul poste de vice président dont l'occupant doit provenir de l'ethnie autre que celle du président n'est que cérémonial sans pouvoirs réels pour garantir les intérêts de son ethnie.

Ce nouvel arrangement institutionnel ravive les souvenirs de la guerre civile, déclenchée par un putsch de l'armée alors aux mains de la minorité tutsie au pouvoir depuis l'avènement de la République en 1966. Elle cherchait à renverser le premier président élu du Burundi, Melchior Ndadaye, un hutu.


Des élections qui excluent la communauté tutsie


Les élections de mai 2020 sont une affaire du CNDD-FDD et ses partis satellites. La seule opposition crédible au CNDD-FDD est celle menée par Agathon Rwasa, un autre ancien leader d'une rébellion hutue. Le parti UPRONA qui s'était positionné comme défenseur des intérêts de la minorité tutsie a été détourné par le CNDD-FDD qui l'a transformé ( par la fameuse tactique de Nyakurisation) en un vassal politique aligné aux intérêts du parti au pouvoir.


Sur 5 candidats qui ont été approuvés par la commission électorale nationale, aucun n'est issu de la communauté tutsie. Ces élections sont donc les premières élections post-Arusha qui excluent (de par leur conception) la minorité tutsie.


Les 5 candidats approuvés par la CENI

A coups d'allusions et périphrases comprises de tous les Burundais, la propagande du camp présidentiel rappelle depuis quelques mois la domination tutsie passée ou accuse le CNL, l'autre grand parti hutu, de «pactiser avec les ennemis» comme l'ancien président Pierre Buyoya, qui est d'ailleurs sous mandat d'arrêt issu par le régime de Gitega. «La question ethnique continue d'être l'arrière-plan des politiciens burundais car le passé de la guerre civile n'a pas été mis sur la place publique et les responsabilités pas établies alors que tout le monde sait qui a fait quoi au Burundi», souligne Thierry Vircoulon.


Pour l'instant, le régime fait tout pour que le nouvel arrangement institutionnel n'apparaît pas ethnique. Et en réalité, ceux qui s'y opposent sont aussi bien hutus que tutsis et forment une coalition hétéroclite qui rassemble des éléments de la société civile, des membres de l'opposition et des religieux. Au sein même du parti présidentiel, il y a une frange qui bien qu'étouffée pour le moment comprend très bien que ce nouvel arrangement institutionnel qui marginalise la communauté tutsie entraînera de nouvelles tensions et peut-être une nouvelle guerre civile.


Parmi les pires scénarios qui risquent de replonger le pays dans une nouvelle guerre civile: une fracturation de l'armée, où l'accord d'Arusha garantit une représentation paritaire des hutus et des tutsis, le long de lignes ethniques ou des anciennes affiliations de la guerre civile. Il y a risque de récupération politique d'une armée fracturée sur des lignes ethniques.


Un héritier qui comprend les dangers d'une marginalisation ethnique?


Evariste Ndayishimiye fut un des architectes des négociations qui ont mis fin aux hostilités armées entre le gouvernement et les forces rebelles du FNL d'Agathon Rwasa. Il est donc un des rares généraux du régime qui devraient comprendre les enjeux d'une constitution qui exclut la communauté tutsie.


Le chef des Forces pour la libération nationale (FNL) Agathon Rwasa (R) et le chef de la délégation du gouvernement burundais, le général de brigade Evariste Ndayishimiye, signent un communiqué conjoint sur le 26e Sommet régional sur le Burundi à Dar es Salaam, Tanzanie, le 18 juin. 2006. Photo @ Emmanuel Kwitema

Une des stratégies qui lui sont ouvertes est de faire passer des amendements constitutionnels par le parlement pour rétablir cet équilibre délicat savamment inventé par Nelson Mandela. Serait-ce dans cet optique qu'il aurait changé les listes de députations de son parti pour faire entrer une nouvelle génération de politiciens qui seraient plus disposés à faire des compromis nécessaires pour une paix durable que leurs aînés issus de la rébellion?


S'il parvient à imposer ses hommes, il pourrait d'ailleurs revigorer un parti qui est en train de perdre la sympathie des masses paysannes qui restent en général opposées à une autre guerre civile.

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