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Burundi, le 29 avril 1972: Souvenir de vies innocentes sacrifiées par les politiques

Dernière mise à jour : 30 avr. 2020

Par André Nikwigize ||

André Nikwigize

Un jour sombre pour tous les Burundais


En ce jour du 48ème anniversaire des massacres d`avril 1972, où les Burundais, Hutu comme Tutsi, commémorent ce que les uns appellent le Génocide des Tutsi, d`autres, le Génocide des Hutu, d`autres, tout simplement « Ikiza », je revois encore les images atroces qui n`ont jamais quitté ma mémoire de l`adolescence à ce jour.

J`avais 15 ans et étudiais au Collège du Saint-Esprit, en 8ème année (deuxième année du secondaire). Confinés dans l`école, nous avons suivi avec consternation et stupeur cette tragédie, qui se passait dans le pays, mais qui s`étendait également dans notre établissement scolaire, avec des divisions ethniques entre élèves, et des militaires qui venaient emporter quelques élèves Hutu, tandis que les Pères Jésuites essayaient de protéger les élèves, et quand c'était possible, aidaient certains à fuir le pays.

Cette crise ethnique de trop était la poursuite des évènements déjà enregistrés en 1961, 1965 et 1969. Mais ce qui est grave est que aucun pouvoir n`a cherché à découvrir la vérité, base de toute réconciliation. Des historiens, essentiellement occidentaux ont essayé de fausser la vérité, en ne prenant que la seule face de l`histoire. Nos enfants et petits-enfants ne connaitront jamais la vérité sur ces sinistres évènements qui ont entaché l`unité séculaire et la cohésion des Barundis avant la colonisation, autour du Roi.

Le samedi 29 avril 1972, ce jour sinistre, il s`est passé des choses atroces. Des groupes Hutu, sous la houlette de l`Organisation UBU, Umugambwe w`Abakozi b`Uburundi ou Parti des Travailleurs du Burundi, tentèrent de prendre le pouvoir par la force, tout en exterminant les Tutsi. Des tueries furent organisées dans les régions du Sud du pays, en province de Bururi, les régions de Nyanza-Lac, Rumonge, le long du Lac Tanganyika, ainsi que la capitale Bujumbura. Les Hutu tuaient femmes et enfants, éventraient et coupaient en morceaux des femmes enceintes, torturaient avant de tuer. Les hommes, drogués et enragés, attaquèrent des innocents qu’ils coupaient en morceaux. À Bururi, toutes les autorités civiles et militaires furent massacrées. Pendant quelques jours fut proclamée, à Vyanda, « la République de Martyazo », et l’on dressa un drapeau vert barré de rouge. Parmi les rebelles figuraient des éléments congolais venus du Sud-Kivu, les fameux « Mulélistes ». Dans la capitale Bujumbura, les tueries étaient planifiées avec minutie, pour que l`opération soit un succès. Des fêtes étaient planifiées dans les différents quartiers de Bujumbura, y compris dans les casernes militaires, afin d`endormir les citadins durant les massacres.

Plusieurs témoins ont fourni des informations sur la préparation de ces attaques, notamment en Tanzanie et au Burundi, et les jeunes hommes étaient enrôlés et disparaissaient. Les responsables politiques avaient été informés de ces préparatifs qu`ils ont, par la suite, minimisés. Toutefois, ils ont tenu à sensibiliser les populations, raison pour laquelle, en date du 23 avril 1972, le Ministre de l`Intérieur, le Ministre de l`Information, le Chef d`Etat-Major des Forces Armées, l`Administrateur Général de la Sureté et de l`Immigration, ainsi que le Commandant du Camp de Bururi, ont tenu une réunion de sensibilisation a Bururi. Il semblerait que les préparatifs étaient avancés et que cela n`a pas empêché l`opération d`être lancée.

Une répression aveugle du pouvoir

Comme pour la tentative de coup d`Etat en 1969, le Président Michel Micombero n`est pas allé par quatre chemins. Dans la matinée, il avait dissous son Gouvernement. A la suite de cette rébellion, il a immédiatement déclaré la loi martiale. Dans la journée de dimanche 30 avril 1972, un couvre-feu fut décrété sur toute l`étendue de la République, tandis que tous les Gouverneurs furent démis de leurs fonctions et remplacés par des militaires.

Ces massacres furent suivies par un engrenage de la répression par l`armée burundaise, et aucune province n’y échappa. L’armée, la police et la gendarmerie se livrèrent à une chasse aux Hutu à travers tout le pays. De nombreux Hutu, commerçants, fonctionnaires, militaires, les prêtres, les étudiants de l’université de Bujumbura, des élèves des écoles techniques, des athénées et des écoles normales, et même simples paysans, furent tués. La répression fut particulièrement sanglante.

Le Président Micombero ordonna l’exécution sommaire de tout Hutu soupçonné d’être mêlé de près ou de loin aux événements. Il y a eu une globalisation qui a conduit à la mort de nombreux burundais. Une chose est sûre et certaine: parmi les Hutu, des innocents sont morts, mais aussi des criminels. Car, le génocide déclenché le 29 avril 1972 contre les Tutsi avait des planificateurs et des exécutants. De même, les exécutions extrajudiciaires et sélectives de nombreux Hutu furent le fait d’hommes Tutsi, essentiellement de l`armée nationale, qui ont outrepassé de façon flagrante les lois et les règlements en vigueur au Burundi. D`autre part, il n’y a jamais eu de procès pour qu’on puisse savoir qui étaient les auteurs du complot et leurs complices et ceux qui ne se reprochaient de rien.

De ces massacres, des familles entières décimées, aussi bien Tutsi que Hutu, des familles qui, souvent, n`avaient rien à voir avec la politique. Les Hutu qui avaient planifié le génocide des Tutsi, n`avaient certainement pas prévu les conséquences de leurs actes sur le reste de la population.

J`ai personnellement souffert de ces massacres. La moitié des membres de ma famille de 12 personnes ont été massacrés par les voisins, avec qui nous partagions tout. J`ai dû passer, avec une dizaine d`autres enfants, une partie des grandes vacances dans une position militaire ad hoc, installée dans une école primaire.

Il y a également des familles Hutu qui ont été victimes d`actes de représailles de la part des forces militaires. Comme indiqué plus haut, tout Hutu, fonctionnaire, élève ou étudiant, commerçant, enseignant ou paysan, était considéré comme un ennemi à abattre. Et ceux qui n`ont pas fui ont été effectivement massacrés par des militaires.

Que faire pour l'avenir ?

Les Burundais vivent cette tragédie depuis 1961, et aucun camp n`est prêt à reconnaître les fautes et demander pardon à l`autre en vue d`une réconciliation. Et ce n`est pas en s`accusant mutuellement, ou en exhumant des cadavres, que les Burundais arriveront à bâtir une société paisible. Quoi qu`il en soit, ce sont des burundais qui meurent, victimes de la barbarie des dirigeants et des intellectuels, qui ne pensent qu`à se maintenir au pouvoir ou y accéder, en utilisant le peuple pour arriver à leurs fins.

Depuis l`avènement de la soi-disante « démocratie au Burundi », avec les élections de 1993, jusqu`aujourd`hui, le nombre de morts est supérieur à ceux tués entre 1961 et 1993. Et le processus continue. Ce sont des burundais dont le pays a besoin pour son développement. Personne ne mérite de mourir à cause de son ethnie (qu`il n`a même pas choisie) ou ses idées politiques, sinon, ce n`est plus la démocratie.

Il faut établir la vérité sur ce qui s`est passé réellement, et mettre en place des mécanismes pour y remédier, et bâtir une société paisible.

Pendant longtemps, la communauté Hutu a fait pression sur les Nations Unies afin que cette organisation reconnaisse le génocide perpétré contre les Hutu en 1972. En même temps, la communauté Tutsi estime que ce qui s`est passé en 1972 était une tentative de génocide contre les Tutsi, qui a échoué. Et que les massacres, perpétrés par le FRODEBU, en octobre 1993, après l`assassinat du Président Melchior Ndadaye, constituaient également un génocide contre les Tutsi, que le Président actuel, Pierre Nkurunziza, est entrain de poursuivre.

Deux tentatives de solution à ces tragédies répétitives ont été présentées a l`attention des autorités burundaises. La première a été proposée par le Groupe des Experts des Nations Unies, dans son Rapport No S/1996/682 sur le Génocide des Tutsi au Burundi. Dans sa conclusion, le Rapport concluait que « des actes de génocide ont été perpétrés contre la minorité tutsie au Burundi en octobre 1993 », et qu'une compétence internationale devait s'exercer à l'égard de ces actes. Le Groupe d`Experts proposait également que la même compétence internationale s'intéresse aux événements qui ont eu lieu en 1972, lorsque, de l'avis général, on avait entrepris systématiquement d'exterminer tous les Hutus instruits, et que nul n'a jamais été poursuivi pour ces actes.

La deuxième piste de solution a été consignée dans l`Accord pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, qui avait établi que les tragédies connues par le Burundi avaient des causes politiques, avec des considérations ethniques. Cet Accord définissait les mécanismes du « vivre-ensemble », tout en établissant la vérité, en vue d`une réconciliation entre les composantes ethniques.

En ce qui me concerne, je suis convaincu qu`un travail de recherche de la vérité est nécessaire. L`histoire du Burundi a été faussée et nos enfants et petits-enfants vont évoluer dans le mensonge. Une compétence internationale est nécessaire pour ce travail.

Tout processus électoral, à l`instar de la mascarade électorale en cours de préparation, qui sera mené avant ces préalables ne conduira qu`à la poursuite de cette tragédie. Les Burundais devraient se mettre ensemble pour rectifier cette trajectoire, avant qu`il ne soit trop tard.

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