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Burundi, élections et violences à huis clos



Analyse Laurent Larcher


Les Burundais sont appelés à voter, mercredi 20 mai, pour des élections générales, au terme d’une campagne marquée par des violences contre l’opposition. Rien ne semble arrêter la dérive du parti présidentiel, convaincu d’être protégé par Dieu.


Il s’appelait Richard Havyarimana, il avait 32 ans, il était le responsable du principal parti de l’opposition, le Conseil national pour la liberté (CNL) de la colline Mbogoro (province de Mwaro). Il a été retrouvé mort, le corps poignardé, dans la rivière de Ruvyironza, sur la colline de Musongati, le 5 mai. La veille, il avait été enlevé chez lui par des jeunes Imbonerakure, la milice pro-gouvernementale.


Une opposition ciblée par une campagne de violence


Le sort réservé à Richard Havyarimana n’est pas isolé. Les élections présidentielles, régionales et locales qui se tiennent ce mercredi 20 mai au Burundi, ont été en effet marquées, une nouvelle fois, par une série de crimes et de délits contre l’opposition.


Selon le dernier rapport du consortium de la société civile burundaise consacré à cette campagne électorale, deux membres du CNL ont aussi été enlevés depuis le 1er mai, 15 ont été torturés et 143 arrêtés arbitrairement. C’est dans ce climat de violence, d’intimidation et de terreur que les Burundais sont appelés à voter.


La victoire annoncée du CNDD-FDD


Ces élections, le parti au pouvoir depuis 2005, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), est sûr de les gagner tant il tient le pays, et tous les leviers gouvernementaux, entre ses mains. Rien ne lui échappe, ni la Commission électorale indépendante (CENI), ni les forces de renseignement et de sécurité, ni la justice ou les médias, ni ce qui reste de l’économie. Il est déterminé à user de la force pour se maintenir au pouvoir, à éliminer toute forme de résistance et d’opposition. En témoigne sa pratique du pouvoir depuis 2015, depuis la réélection controversée de Pierre Nkurunziza.


Son successeur désigné, le général Évariste Ndayishimiye, surnommé « Samuragwa » (« l’héritier »), a battu campagne dans tout le pays, organisant de grands rassemblements avec l’aide musclée des Imbonerakure. Sa victoire s’annonce d’autant plus facile qu’aucun observateur national ou international indépendant n’a été autorisé à se déployer sur le territoire : ni l’Église, ni la société civile, ni les Nations Unies, ni l’Union africaine ou l’Union européenne.


Dans l’opposition, le succès d’Agathon Rwasa


Face au général Évariste Ndayishimiye, six candidats ont été autorisés à se présenter, sans grande chance de succès. Parmi eux, cependant, Agathon Rwasa, candidat du CNL, a créé la surprise en attirant, malgré le climat d’intimidation, de nombreux partisans dans ses meetings à Bujumbura et en province, avec ce slogan repris en masse : « Tsinda abanyonyezi », « Vainquons les voleurs invétérés ». Mais il va lui être difficile de contourner la mainmise du pouvoir, d’autant que la Ceni n’a pas publié les listes électorales.

Vendredi 15 mai, son président, Pierre-Claver Kazihise, avait indiqué que ces listes étaient « disponibles » mais qu’« elles ne peuvent pas être affichées, faute d’espace suffisant ».


À l’heure du Covid-19


La pandémie du Covid-19 n’a pas remis en question ce triple scrutin, comme en Guinée, au Mali et au Bénin, avant lui. Le pays, officiellement, n’est pas touché par la pandémie : il ne compterait que 42 cas de contamination et un décès à la date du 18 mai. C’est pourquoi aucune mesure restrictive n’a été adoptée contre la propagation du virus, contrairement à ses voisins comme le Rwanda. Tout est ouvert, tout fonctionne normalement.


Protégé par Dieu


Ces décisions sont motivées par la croyance, ancrée au sommet de l’État, que le pays est protégé par Dieu. Prières, jeûnes, prophéties et lecture de la Bible ont rythmé l’exercice du pouvoir de Pierre Nkurunziza, fervent évangélique membre de l’Église du Rocher, et de ses proches. Cette posture prophétique s’illustre par le titre que le CNDD-FDD lui a décerné, « le guide permanent ».


Lors du dernier meeting d’Évariste Ndayishimiye, samedi 16 mai à Bujumbura, où se sont rendues, selon le CNDD-FDD, 50 000 personnes, le « guide permanent » s’est mis à genoux sur un tapis rouge pour prier en faveur de son poulain, en vitupérant les « ennemis » du Burundi et invitant Dieu « à être l'observateur de ces élections ». L’avant-veille, les experts de l’OMS travaillant sur la pandémie au Burundi, étaient déclarées persona non grata par les autorités.

Parmi les nouveautés lancées par Pierre Nkurunziza dans lesquelles s’inscrira « l’héritier », le retour de la devise du temps de la monarchie sur les monuments publics, « Imana, Umwami, Uburundi » (Dieu, Roi et Burundi) au côté de celle de la République, « Unité, travail, progrès ».

 

Le marasme économique


Le Burundi est classé parmi les trois pays les plus pauvres au monde. Selon la Banque mondiale, 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Ce taux était d’environ 65 % à l’arrivée au pouvoir de Pierre Nkurunziza en 2005.

Le taux de chômage des jeunes est de 65 % selon la Banque africaine de développement (BAD), six enfants sur dix présentent un retard de la croissance à cause de la malnutrition.

Le général Evariste Ndayishimiye a admis, implicitement, ce marasme, en déclarant samedi 15 mai : « Je ne prendrais pas de repos tant que je n’aurai pas vu tous les Burundais devenus riches et heureux. »


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