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Qui etait le Prince Louis Rwagasore: Un Prince Nationaliste ou Patriote ?

Andre Nikwigize ||

André Nikwigize





« A cette heure de la victoire du Parti, fût-il le mien, je ne suis pas grisé par le succès, car pour moi et mes amis, la véritable victoire ne sera atteinte qu’après l’accomplissement d’une tâche difficile mais exaltante ; un Burundi paisible, heureux et prospère » (Rwagasore Louis, 18 septembre 1961).



Pour beaucoup de Burundais, le Prince Louis Rwagasore aura été le principal artisan de la refondation de la Nation Burundaise, après plus d'un demi-siècle de colonisation allemande et belge. Il est placé au grand tableau des héros des indépendances africaines, aux cotés des grands héros tels Lumumba, Amilcar Cabral, Nyerere, Mandela, Sankara, et autres.


Né le 10 janvier 1932, du Roi Mwambutsa IV Bangiricenge et de la Reine Thérèse Kanyonga, Rwagasore a fait ses études, respectivement à Bukeye, Kanyinya, Gitega, Astrida (Rwanda) et Bruxelles (Belgique). Il est le fils-ainé du Roi et de la reine, et ne manque de rien pour bien vivre.


Lorsque, en 1956, âgé à peine de 24 ans, il entama sa vie politique, en réclamant notamment une constitution et une autonomie pour le Burundi, la tutelle l'interpréta immédiatement comme la première manifestation de nationalisme au Burundi. Rwagasore cherchait à rassembler toutes les couches de la population - Hutu, Tutsi, Twa et Ganwa, tant les chrétiens que les musulmans - autour d'une monarchie qu`il qualifiait de populaire. En 1957, il énerva davantage l`administration coloniale lorsqu`il lança deux coopératives de commerce et de consommation aux profits de producteurs et consommateurs indigènes. Le Roi Mwambutsa fut egalement inquiet de la naissance du nationalisme, qui constituait un danger pour son royaume. Pour dissuader son fils à s`engager dans la politique, le Roi nomma son fils chef de Butanyerera, pensant que le rôle de la famille royale devait transcender les politiques partisanes, mais Rwagasore y renonça pour se consacrer entièrement à la cause nationaliste.


UPRONA, Parti d`un Peuple Opprimé ?


En septembre 1958, Rwagasore avait 26 ans lorsqu`il fonda l'UPRONA (Union pour le Progrès National). Lors du premier congrès de l'UPRONA, en mars 1960, Louis Rwagasore réclama l'indépendance totale du Burundi. A la direction du parti siégeaient autant de Hutu que de Tutsi. De mauvaises langues, côté colonial, prétendirent que Rwagasore cherchait à obtenir, via la politique, ce qui lui échappait comme fils ainé du mwami. En effet, le successeur d'un mwami défunt était traditionnellement choisi parmi ses fils cadets, ce qui écartait Rwagasore de la succession. On lui reprochait également d'être opportuniste: pour arriver au pouvoir, il jouerait sur les sentiments royalistes de la nation, en se présentant partout comme le fils du roi.


Le Prince Louis Rwagasore donne une interview a une radio-télévision belge

Sur les plans économique et social, Rwagasore proposait une politique progressiste: élevage rationnel, agriculture intensive et planifiée, industrialisation du pays, lutte contre l’analphabétisme, formation civique des citoyens. L’UPRONA rencontra assez vite un important succès populaire, et Hutu et Tutsi se fédérèrent autour du Prince. Mais ce mouvement, lancé par le Prince, déplut fortement au Gouverneur Harroy, lui qui avait pourtant soutenu l’élan de la « masse populaire » au Rwanda. Sous prétexte que le Prince ne devait pas s’occuper de politique, Harroy était contre le projet uproniste. Les Belges étaient d’autant plus inquiets que l’UPRONA de Rwagasore entretenait des liens avec le parti congolais MNC de Lumumba, qualifié de pro-communiste, et le révolutionnaire tanzanien, Mwalimu Julius Nyerere, avec qui il était en contacts réguliers, ce qui justifiait que la Sûreté surveillait étroitement les activités du Prince.


C`est dans ce cadre de tensions et d`opposition du pouvoir tutélaire que Rwagasore fut autorisé à faire sa campagne. Mais, pour le pouvoir colonial, Rwagasore représentait un danger, parce que son parti avait des allures nationalistes. Du 27 octobre au 9 décembre 1960, le Prince Rwagasore fut placé en résidence surveillée, alors que les élections communales devaient être tenues à la mi-novembre. Le but de son placement en résidence surveillée étant de handicaper l'UPRONA, et de l'empêcher de remporter les élections communales. Le but fut atteint : les élections communales furent remportées par le PDC, parti soutenu par la Belgique.


D`autre part, au Rwanda voisin, « la Révolution Sociale de 1959 », conjuguée au décès, en juillet 1959, du Roi Mutara, et du coup d`Etat de Gitarama, en janvier 1961, conduisant à la proclamation de la République, avant même l`indépendance nationale, avait pris une tournure différente de celle que le Burundi était entrain de prendre.

Rwagasore, qui avait observé l`évolution de la situation au Rwanda, essayait de donner un discours apaisant et rassembleur. En janvier 1960, il rappelait implicitement la différence avec le Rwanda lorsqu`il invitait la population à se préparer pour les élections à venir, en ces termes :


« Pendant qu`au Rwanda, un peuple qui partage le même pays continue à se haïr, au Burundi, les populations joignent leurs forces pour construire ensemble leur pays. C`est dans le calme et la paix que les Barundi vont accueillir les nouvelles réformes politiques qui seront déterminantes pour eux. Dans trois mois à peu près, les Barundi iront tous aux urnes et nous aurons eu le temps nécessaire de les conseiller afin qu`ils élisent des représentants réels de leurs opinions, des hommes capables de lutter pour les intérêts de la Nation, du peuple Murundi ; mais jamais nous ne leur dirons d`élire des Tutsi, parce que Tutsi, ou des Hutu, parce que Hutu ! ».


Le 18 septembre 1961, l`UPRONA rafla 54 des 58 sièges à pourvoir à l`Assemblée Nationale. Cela représentait plus de 90% des sièges. Les messages transmis par Rwagasore et son parti, et tous les autres partis alliés à l`UPRONA, de promotion de la paix, d`accroitre la production agricole et d`industrialisation de la nation, avaient convaincu les électeurs.

Cinq facteurs principaux ont favorisé la victoire du Parti UPRONA :


1) Le charisme du Prince Louis Rwagasore, en tant que fils du Roi

2) Les femmes venaient d`obtenir le droit de vote, en 1961, grâce au combat acharné de Rwagasore. Par conséquent, les femmes ont été les premières à voter pour le parti UPRONA, et elles représentaient plus de 50% de l`électorat. Elles ont montré un intérêt tout particulier dans l`élection, et cela, dans toutes les communes. Les observateurs des Nations Unies ont été surpris de voir les femmes qui s`étaient levées tôt le matin, et qui attendaient de longues heures, certaines avec des enfants au dos, faire la file pour voter.

3) Le Parti UPRONA était le favori de tous les lettrés, les laissés-pour-compte de la Tutelle et de l`Administration indigène, les victimes conscientes de la discrimination raciale et scolaire, les séminaristes, les moniteurs et vulgarisateurs agricoles, les enseignants et autres, qui virent dans l`UPRONA, sinon une voie d`accès au pouvoir, au moins un moyen d`enquiquiner les gouvernants. Rares étaient les dirigeants ou cadres du Parti en bons termes à la fois avec les trois pouvoirs du moment, à savoir la Tutelle, l`Eglise catholique et le Roi. Ceci a justifié une adhésion massive à l`idéologie du Parti UPRONA et un vote massif.

4) L`intimidation dont étaient l`objet les leaders nationalistes par le pouvoir colonial, qui a pour effet d`accroitre leur popularité.

5) La supervision des élections par des observateurs des Nations Unies, ce qui a favorisé la libre expression.


La victoire de l`UPRONA signifiait l`échec de la Belgique, qui avait soutenu la révolution sociale des Hutus au Rwanda, et avait essayé de contrer la montée de l`UPRONA, par l`encouragement en faveur de la création des partis d`opposition dans la famille directe du Prince Rwagasore (PDC) et dans les milieux extrémistes Hutu (PP et autres). C'est avec retard que le Ministre des Affaires étrangères Spaak reconnut la défaite au Parlement belge: « Il faut le reconnaître : le parti qui a été soutenu par la tutelle, a été écrasé dans les élections ». Jean-Paul Harroy, Gouverneur Belge du Burundi était fou de rage à cause de la victoire du parti UPRONA. Il ne participera pas, par conséquent, aux cérémonies d`indépendance, le 1er juillet 1962. Quant à Albert Mauss, membre influent du Parti du Peuple, il se pendit après l'annonce de la victoire de l`UPRONA. Ce sont ces deux personnalités, et bien d`autres, qui, à longueur de journées, enseignaient la haine ethnique, pour asseoir la devise des anciennes administrations coloniales, allemandes et belges, du « divide et impera ».


Après les élections législatives du 18 septembre 1961, le Burundi devint une monarchie constitutionnelle, avec à sa tête, le Mwami Mwambutsa. La loi fondamentale s'inspirait de la constitution belge. Le Mwami nommait et révoquait les Ministres. Le système judiciaire était analogue à celui de la Belgique. Le Prince Louis Rwagasore fut nommé Premier Ministre du Royaume du Burundi. Il fut invité par son père à former le Gouvernement.


Au cours du discours prononcé le 18 septembre 1961, au lendemain de la victoire du Parti UPRONA, le Prince Rwagasore avait démontré que l`évolution politique du Burundi allait se dérouler selon la volonté du peuple Murundi, qui avait placé sa confiance dans le Parti UPRONA. En même temps, il essayait de calmer les esprits de ses opposants politiques, et des Belges, d`abord, en s`engageant notamment à « servir le pays et le peuple ». Et d`ajouter :

« A cette heure de la victoire du Parti, fut-il le mien, je ne suis pas grisé par le succès, car pour moi et mes amis, la véritable victoire ne sera atteinte qu’après l’accomplissement d’une tâche difficile mais exaltante ; un Burundi paisible, heureux et prospère ». A l`endroit de la Belgique, il exprima ses remerciements : « Au peuple belge, j’ai l’honneur d’adresser un message de gratitude, la responsabilité que, vous belges, vous portiez, vous allez bientôt la transférer sur nos épaules et nous sommes conscients de nos devoirs. Nous vous demandons de nous aider à entreprendre l’avenir avec confiance, de continuer à nous aider avec générosité, à nous guider dans le respect de notre dignité, de nos intérêts et de notre propre conception de l’intérêt national. Nous sommes devenus des enfants libres et adultes, mais nous suivrons la tradition de notre peuple qui veut que les enfants restent respectueux et témoignent leur affection ».


Le 28 septembre 1961, RWAGASORE, à 30 ans, fut désigné Formateur d`un Gouvernement qui devait préparer le pays à l`indépendance. Rwagasore fut ainsi investi comme Premier Ministre le 29 septembre 1961. Pierre NGENDANDUMWE devint Vice-Premier Ministre et Ministre des Finances, dans un gouvernement comptant une quinzaine de ministres. La Défense demeura entre les mains de l’administration belge.


Au cours des jours qui ont suivi la victoire de son parti, Rwagasore a eu de nombreuses réunions de consultations avec les chefs des partis politiques en compétition avec l`UPRONA, particulièrement, les partis Hutus, ainsi qu`avec le Gouverneur Harroy, pour les rassurer sur la conduite à tenir, et sa vision d`un Burundi qu`il souhaitait bâtir, tel qu`il l`avait indiqué dans son discours de la victoire.


Rwagasore assassiné, c`est le rêve d`un Burundi moderne brisé


Un mois après la formation de son gouvernement et 8 mois avant l’Indépendance, le 13 octobre 1961, Rwagasore fut assassiné dans un restaurant près du Lac Tanganyika.

Avec la mort de Rwagasore, s`évanouissait tout le rêve de construire une nouvelle société juste et prospère. Un Grec, du nom de Kageorgis, fut désigné comme l`assassin de Rwagasore. Il sera exécuté quelques mois plus tard, avec d`autres coupables désignés. Mais les vrais planificateurs et exécutants de la sale besogne n`ont, à ce jour, jamais été identifiés et traduits en justice.


Le Prince Louis Rwagasore, assassiné par balle dans un restaurant au bord du Lac Tanganyika

J`ai fortement apprécié cette analyse de Boniface KIRARANGANYA, un des amis de lutte de Rwagasore, et le récit qu`il a fait sur ce dernier, après sa mort :

« Personnellement, je n’ai pas été pris au dépourvu.

J’ai soutenu la démocratie sans y croire vraiment : c’était trop beau pour être faisable…

Il n’était pas raisonnable de penser à une vraie démocratie sans Watergates sanglants avant au moins les années 1990-2000. Excepté à deux conditions : si Louis Rwagasore n’était pas mort, ou si les leaders Tutsi avaient bien voulu faire confiance à Pierre Ngendandumwe, ce Hutu de la catégorie d’hommes dont j’ai dit que la valeur personnelle concerne l’intérêt universel.


Louis Rwagasore, au contraire, était sûr de son coup. Selon lui, les chances de la démocratie étaient certaines et les Barundi étaient mûrs pour la belle aventure !

Je dus alors suivre à cause de mon admiration pour le grand leader de notre parti.

Un jour, je voulus m’assurer, une fois pour toutes, de ses intentions les plus intimes à ce sujet. Nous étions, ce jour-là, en voyage pour plus d’une heure et demie sur le trajet Gitega-Bujumbura, cent-onze (111) kilomètres de mauvaises routes. Nous avions donc tout le temps de discuter de n’importe quel sujet sans être interrompus ou dérangés. Je lui demandai alors, très sérieux :

- Prince, cette démocratie que nous prêchons, est-ce que c’est sérieux ? C’est de la blague ou quoi ? Vous y croyez vraiment, vous, ou c’est seulement pour rigoler ?

- J’y crois parfaitement.

- Ne pensez-vous pas que, de fil en aiguille, le peuple n’en arrive à réclamer jusqu’à l’élection du chef de l’Etat lui-même ? Et que vos chances, à vous, en tant que prince seront fortement diminuées ? Pas maintenant bien sûr, mais dans les années plus ou moins proches. Vous voyez ça d’ici…

- Oui, je vois ça d’ici, me répondit-il ironiquement. Mais je dois aussi vous dire une chose, continua-t-il, très sérieux : la démocratie, voilà au moins la meilleure chose que les Belges ont pu nous suggérer. Le peuple burundais a droit à la dignité et à la liberté, nous devons donc le diriger par la démocratie. Si demain le peuple ne veut plus de mon père (Mwambutsa IV), je serai le premier à lui conseiller d’abdiquer.


Tandis que je l’écoutais avec intérêt sans l’interrompre, il continua :

- Quant aux chefs de chefferies, bien que la plupart soient de ma famille, je ne les renie pas, mais il faut qu’ils soient là de par la volonté du peuple. Il faut qu’ils soient élus. Je suis sûr que ceux d’entre eux qui se sont toujours souciés de la justice et du bien-être de leurs populations seront élus, puis réélus. Ceux qui se sont mal conduits, ce n’est pas à moi ni à notre parti de les soutenir, d’endosser leurs fautes. Ce sera vraisemblablement leur fin et ce sera mieux ainsi. En ce qui me concerne personnellement, eh bien, nous avons fait des études et je suis jeune : si je ne suis pas élu je travaillerai toujours quelque part. Mais le peuple sera content. Dès aujourd’hui, si j’étais sûr que les Burundais (il disait Barundi, terme plus académique) veulent déjà la République et que cette solution soit la meilleure, je ne ferai absolument rien pour les en empêcher. Ce serait leur droit le plus légitime ».


Voilà l`homme d`Etat que les ennemis de la Nation n`ont pas voulu qu`il poursuive ses reves pour un peuple meurtri.

Avec la mort de Rwagasore, c`est le rêve d’un Burundi libre, uni et démocratique qui était ainsi brisé. Depuis la mort du Prince, le Burundi est entré dans un cycle de conflits à caractère ethnique.


Nous avons relevé un court extrait de l`oraison funèbre de Pierre Ngendandumwe, ami de lutte de Rwagasore, lors des funérailles et qui résumait bien la vie de ce dernier. Il s`adressa au Roi en ces termes :

« Majesté, votre fils est mort assassiné, il a perdu la vie au front. Il combattait les ennemis de votre peuple. Il est et reste le grand ennemi de l’injustice, de la bassesse, de la corruption. Voilà la raison de son assassinat.

Il a dit non à l’injustice, montré la voie du peuple murundi. Il est mort parce qu’il voulait l’unité. Ceux qui l’ont assassiné désiraient la désunion, la haine et au bout du processus le sang des innocents. Le plan nous est familier. On supprime d’abord la personne qui gêne, puis on plonge le peuple dans le sang. Que ces malheurs n’arrivent jamais à votre peuple (…) »

« (…) Son amour pour le Burundi était tel que nos ennemis ne pouvaient pas le lui pardonner, ils devaient le tuer tôt ou tard (…) »

« (…) Lui voulait le Burundi libre et grand. Eux voulaient l’asservir, le déshonorer, le souiller (…) »

« (…) Prince mort pour le Burundi, vous victime et martyr de notre Patrie, jamais nous n’oublierons le principe de votre vie que résume merveilleusement votre recommandation: PAIX. Allez en paix, Prince, que la Paix que vous avez tant prêchée reste dans le Burundi, ce pays auquel vous vous êtes offert en holocauste. »

Le Prince Louis Rwagasore est mort pour avoir voulu donner la dignité et l`honneur aux Barundi, de construire un Burundi moderne et prospère. Mais qu`avons-nous fait de son héritage ? De son rêve ? La mission des ennemis de la Nation a reussi, comme le resumait si bien Ngendandumwe : « On supprime d’abord la personne qui gêne, puis on plonge le peuple dans le sang ». Quand pourrons-nous enfin aspirer à cet idéal resté inachevé ? Espérons que les générations futures pourront reprendre le flambeau et conduire ce peuple meurtri, par près de 60 ans de conflits, vers des lendemains meilleurs.


AMAHORO, INTAHE N`AMAJAMBERE

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